Rallye Toulouse 01/10
Mardi 1 octobre 2024
Agréable et douce journée à Essaouira
Lorsque les brumes océaniques se dissipent sur sur la perle de l’Atlantique, les participants du Rallye dorment encore. Aujourd’hui c’est relâche et chacun en profite pour rattraper le retard de sommeil des longues étapes précédentes.
Essaouira est aussi appelée le port de Tombouctou. Pendant des siècles les caravanes de dromadaires, chargées de richesses, parcouraient des milliers de kilomètres depuis le Niger ou le Mali pour rejoindre cette plaque tournante du commerce international. Il en reste aujourd’hui une citée magnifique, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ici les navires venu d’Espagne, de France ou d’Angleterre embarquaient leurs cargaisons vers l’Europe.
C’est au XVIIIème siècle que le sultan Mohamed Ben Abdallah, devenu le roi Mohamed III décida d’en faire le port de commerce du royaume chérifien.
La ville est balayée par les alizés et baignée d’une fraîcheur permanente que lui envient bien des citées de l’intérieur du Maroc.
Quoi de mieux finalement pour passer une bonne journée à se perdre dans ces nombreuses ruelles bordées de centaines de petites boutiques où on trouve absolument de tout. Essaouira, ville touristique mais pas seulement. Ici bien sûr, beaucoup de tourisme mais avant tout une ville paisible loin de l’agitation des grands centres urbains. 127.000 personnes habitent toujours la ville. Une population accueillante et attentionnée envers les visiteurs étrangers que nous sommes.
Chacun s’immerge donc dans la citée à sa façon, shopping et marchandage traditionnel pour les uns, promenade sur les 7 kilomètres de plage pour d’autres. Les petits restaurants sont nombreux, les terrasses accueillantes, la cuisine souvent à base de la pêche locale, délicieuse.
Essaouira fut aussi entre Casablanca et Agadir un terrain de secours des lignes Latécoère. Dans les années 20, la jeune compagnie aérienne, en charge du transport du courrier des postes chérifiennes avait bien identifié le dynamisme économique du port et s’arrêtait si nécessaire pour prendre ou laisser du courrier.
Les remparts
La Médina
Aujourd’hui, plus de commerce maritime mais une forte activité de pêche. Des centaines de petits bateaux bleus, en bois, construits sur place et équipés de viviers rapportent tous les jours des dizaines de tonne de poisson. Ils suffisent à fournir les restaurants et les marchés de la ville.
L’après midi une visite historique de deux heures est organisée pour les participants du Rallye avant le traditionnel dîner au restaurant «Chez Sam».
Demain vol en direction de l’une des 7 Villes royales du Maroc, Fès. 310 nautiques, le survol des magnifiques reliefs du Djebel Fillous culminant à près de 2100m et des villes de montagne d’Azrou et Ifrane.
Fès et sa Medina parmi les plus belles du Maghreb nous accueillera donc dans ses riads mystérieux aux mosaïques multicolores et aux fontaines rafraîchissantes.
Le port et ses bateaux bleus
L'une des innombrables ruelles du centre ville
Histoire et petites histoires de Jean-Claude Nivet
Pour notre journée de remise en forme, physique et mentale, je vous propose la suite du récit du pilote Henri Delaunay. Celui-ci nous décrit l'ambiance de potaches qui règne à Cap Juby. Il faut bien "tuer le temps". Et, entre des vols de contrôle de Breguet, quelques dépannages, quelques séances de kanoë, quelques mots croisés, quelques domptages de "bêtes féroces", quelques recherches et sauvetages de camarades en difficulté et quelques coups de fusils, le tout entre-coupé des sempiternelles "alerta sentinela" découvrons ce récit d'aventure vécue et rarement communiqué.
Jean Mermoz, lettre à sa mère du 10 novembre 1926
Guillaumet et Riguelle, Cap Juby en 1926
95 kg de vin transporté pour Juby
HENRI DELAUNAY : UNE SOIRÉE À CAP JUBY, ENTRE COPAINS AVEC MERMOZ, SAINT-EX, GUILLAUMET ET RIGUELLE
Avant d’atteindre l’horizon, le soleil s’était caché derrière un voile d’humidité qui me faisait craindre du brouillard pour le lendemain.
Sur le rivage sans relief, entre le désert de la Mauritanie et le calme scintillement de l’Atlantique, le petit fortin du Cap- Juby ne vivait plus, de temps en temps, que par les monotones appels de ses sentinelles. A l’extérieur de ce bastion espagnol, mais contre ses murs, notre étroite baraque résonnait de rire. Sur un fond sonore, entretenu par le sifflement de la lampe à gaz de pétrole et les rabâchages d’un vieux phono, explosaient des exclamations joyeuses.
A cause de son odeur, la hyène restait attachée dehors au moment des repas, mais nous composions tout de même un groupe d’affamés assez pittoresque autour de la table. Il y avait d’abord les six sédentaires : Antoine, Saint-Exupéry, gai copain, racé mais aucunement bégueule; Toto, accessoirement popotier mais surtout mécanicien débrouillard, tout en rondeurs par le physique et le langage; Marchal, l’increvable, l’homme qui savait à l’occasion ne pas lâcher les outils ni la bonne humeur pendant quarante-huit heures ; « Kiki », le singe aux cris perçants; « Mirra », gourmande et aboyeuse; enfin « Paf », un gros chat effronté, dont la patte chapardeuse concurrençait celle du ouistiti. L’élément nomade était représenté par Henri Guillaumet et René Riguelle qui nous avaient apporté le courrier de Dakar en fin d’après-midi, puis par Jean Mermoz et moi qui devions, le lendemain, acheminer les sacs postaux jusqu’à Casablanca.
[...] Un peu à l’écart, sous une volute de fumée blonde, avec, pour seul vêtement, son large pantalon de méhariste, Mermoz se livrait à cette occupation qui faisait alors fureur : les mots croisés. Cela ne l’empêchait pas de mêler ses propos aux nôtres, mais l’aidait peut-être à attendre le dîner sans trop d’impatience.
Mon svelte équipier avait, en effet, un coup de fourchette de mousquetaire; il pouvait allègrement doubler ses portions tout le long d’un repas, pour se lever ensuite, et je ne sais comment, apparemment allégé. Cet appétit extraordinaire ne m’étonnait d’ailleurs pas, car tout me semblait exceptionnel chez ce rude gaillard. Je devais être presque déçu le jour où il m’apprit avec désinvolture qu’il s’en remettait, pour garder la ligne, à son ver solitaire...
Il s’efforçait donc de faire des mots croisés, installé en équilibre sur deux pieds de sa chaise, ses mules de cuir fin mettaient une tache précieuse sur le mur de torchis. Jouant adroitement de son crayon, du verre d’apéritif et de la cigarette, il était là aussi naturellement séduisant que dans un hall d’hôtel, sous des regards féminins. Il aurait été évidemment moins à l’aise s’il avait vu la ficelle attachée au cou de Mirra, que Riguelle avait passée entre les barreaux du dossier de son siège... Pourtant, il ne fallait pas compter sur une réaction de notre bonne chienne avant l’arrivée de la viande sur la table, et c’était pourquoi Marchal réclamait son repas sur un ton à la fois impératif et discret.
— Mais bien sûr qu’il faut envoyer le poulet froid avant la soupe, mon bijou, susurrait-il à Toto qui hésitait à troubler la bonne ordonnance de son repas. Le popotier était soucieux. Son réchaud ayant les gicleurs bouchés par le sable, il l’avait remplacé par une lampe à souder, mais celle-ci ne fonctionnait guère mieux.
— A mort Toto! — Vos g...! Comme cela se passe généralement dans une réunion d’hommes latins affranchis de l’impitoyable surveillance de la femme, nous nous amusions comme des gosses.
Etant tombé dans le panneau d’une histoire montée par Riguelle, j’étais bruyamment mis en boîte lorsqu’on s’aperçut que ce qui gonflait alternativement les joues droite et gauche de Kiki était une lame Gillette! — Vite, une banane pour qu’il jette ça. — Oui, tiens! offre-lui aussi une datte... On aurait donné des trésors de friandises pour que cessât cette désagréable exhibition, mais Marchal expliqua que c’était la troisième fois en une semaine que le malin Kiki usait sans dommage de ce stratagème.
Cependant, Toto voulait l’avis de chacun avant de donner des ordres au maître d’hôtel qui attendait. Totalement ignorant de notre langue, celui-ci était un grand indigène barbu, farouche, maigre comme un sarment, et aussi entortillé de la tête aux pieds dans ses voiles bleus que s’il affrontait une tempête de sable. Son masque impénétrable semblait sculpté à plein bois dans l’olivier. La seule concession qu’il nous faisait, à regret, était de laisser son poignard à la cuisine.
— Allez, Attila, manie-toi le train, devait enfin lui ordonner Toto. Gibe les poulets d’abord, fissa. Puis comme l’autre ne bronchait pas. — Cot, cot, cot... Allez, amène, devait-il préciser avec de laborieux simulacres de halage.
Mais Guillaumet avait fini de crayonner sur un coin de la toile cirée et, jubilant d’avance, il s’adressait à Saint-Exupéry. Il s’agissait de le « faire marcher » à son tour, et c’était d’autant plus facile que notre future victime en était visiblement ravi. — Qu’est-ce que c’est que ça? demandait donc Henri, qui avait dessiné une maison entièrement occupée par le mot « Ambassade ».
— C’est une ambassade, disait Saint-Exupéry avec son inimitable façon de jouer, volontairement mal, la comédie du sérieux. — Non, jubilait l’autre en faisant durer le plaisir. Il y a trois « A » à Ambassade; mets ton doigt sur l’« A » du milieu... Allez, mets ton doigt sur l’« A ». Et quand l’autre avait obéi. — C’est un consulat...! clamait Guillaumet triomphalement.
Qui n’a pas vu une vraie joie intérieure venir illuminer le visage angélique du complaisant mystifié a manqué une bien savoureuse manifestation de gaieté. Dans ces cas-là, Saint-Exupéry avait une façon de ne pouvoir maîtriser ses gloussements de joie, qui n’appartenait qu’à lui. Sa manière d’appuyer, en même temps, lentement et voluptueusement, les syllabes d’un : « C’est idiot » attendri, provoquait l’hilarité générale.
L’espoir d’une réponse
Parce qu’il aimait passionnément exprimer ses impressions, Saint-Exupéry avait un impératif besoin de concevoir parfaitement. A l’époque où nous étions réunis au Cap Juby, je savais vaguement que notre chef d’escale écrivait, mais je ne sais pourquoi, avec les autres, je l’imaginais alignant des vers limpides comme ceux des rondes enfantines. Je fus très étonné le jour où il m’attira à l’écart, pour m’interroger sur un sujet apparemment simple, mais qui le tracassait :
« En vertu de quel sentiment risquions-nous, parfois, si facilement notre vie pour acheminer des lettres? ».
Il ne s’attendait certainement pas à ce que je réponde directement à sa question. Peut-être espérait-il que quelque chose dans mes propos le mettrait sur la bonne voie? Peut-être voulait-il ce jour-là simplement se distraire à sa manière, à la fois naïve et très intelligente? En ce dernier cas, il n’eut pas à se plaindre. Je ne me suis plus jamais livré, depuis, à un pataugeage aussi stérile dans les arcanes de mon esprit. Si mon bon Saint-Exupéry vivait encore, il me trouverait d’ailleurs, aujourd’hui, tout aussi impuissant qu’il y a trente ans à résoudre son problème. Mais mon admiration pour celui qui, du haut de son humilité, nous domina tous a fait s’égarer mon récit. Ce que je ne suis pas encore parvenu à dire, c’est qu’au milieu de cette ambiance insouciante de notre popote perdue entre sable et eau je ne jouissais pas, moi, d’une complète sérénité. Je n’avais alors effectué, sur ce secteur, que deux aller et retour en compagnie de l’adroit Lécrivain.
Henri DELAUNAY
Picard Dépannage BR 2361926, Juby, de G à D : Mermoz - Jaladieu - Reine - Bougnères
Juby, Pichard - Bougnères - Mermoz - Picard
Intérieur du bureau à Cap Juby avec la carte
JEAN MERMOZ - CORRESPONDANCE - 1921 – 1936
Les mois ont passé à Juby, entre les courriers, les essais en vol et quelques convoyages à Dakar. Après d'autres prises d'otages, l'assassinat de Gourp, Erable et Pintado, cette lettre de Mermoz à ses grands-parents nous décrit avec authenticité la "réalité" de Juby.
Cap-Juby, 18 février 1927
Mes chers parents,
Je vous écris du Cap-Juby, d'où d'ailleurs, je dois repartir demain pour Casablanca. De toute façon, je pourrai mettre ma lettre à la poste en arrivant ; elle sera en France probablement après-demain " si Dieu quierès" : si Dieu le veut, comme disent les Espagnols. Je suis heureux de savoir que vous ne souffrez pas trop des rigueurs de l'hiver. En ce moment au Cap-Juby où je me trouve, il n'y fait pas chaud du tout. Un chandail n'est pas de trop du tout avec les alizés qui nous viennent du Groenland, et qui soufflent en tempête six ou sept mois de l'année. A Casa, il y fait très doux, et à Dakar il y fait bon, certes, mais je n'y mets pas souvent les pieds. Rassurez-vous, je me porte parfaitement bien, je ne fais pas de bêtises, mène une existence absolument normale et régulière, et je compte tenir le coup longtemps. Inch Allah !!!...
[...] La vie est si brève [...]
...Voici sept jours que je suis ici, et je vous assure que ce n'est guère amusant. Les journées passent avec une lenteur désespérante, surtout depuis que nous n'avons plus le droit de mettre le nez dehors à plus de cinquante mètres du fort, depuis que les Maures ont eu déjà plusieurs fois l'intention de s'emparer de nous et de certains Espagnols. Ces derniers n'osent réagir et comme nous ne sommes pas chez nous, force nous est de tout subir. D'ailleurs la garnison est presque complètement composée de disciplinaires. Il est assez compréhensible que ce gouverneur, peu énergique d'ailleurs, ne puisse guère compter sur elle. Les Maures en profitent, exigent presque parfois, aussi deviennent-ils d'une insolence rare.
Je dors quatorze heures environ. Je m'occupe de la cuisine car nous amenons notre ravitaillement de Casa (avec nous) par avion. J'amène à chaque fois soixante-dix à quatre-vingt kilos de légumes frais. J'ai un livre de cuisine, et je suis devenu un maître queux hors pair par nécessité ! J'ai comme aides deux Maures qui comprennent l'espagnol, avec le revolver toujours prêt dans ma poche, et je passe mon temps, en partie, à combiner des plats, des crèmes, de la pâtisserie même pour les deux pilotes que nous sommes et les quatre mécaniciens. Entre-temps, je fais des parties de bridge avec le toubib espagnol du fort, ou un poker avec les officiers. je cause l'espagnol comme un Hidalgo. J'en fais voir des vertes et des pas mûres aux Maures, qui s'aventurent avec moi dans les airs au cours d'essais d'appareils. Quelle joie, quand le vendredi arrive, d'aller se retremper à Casa dans un bain de civilisation, après cette cure d'existence presque primitive ! Je patiente encore deux mois, comptant filer en Amérique, sans cela je ne remettrais plus les pieds par ici. Mais en attendant, là ou ailleurs peu m'importe, puisqu'il faut attendre.
Mes chers parents, je vous quitte, je vous aime de tout mon cœur et je vous embrasse tous deux avec la profonde tendresse que je vous garde de loin.
Bons baisers de votre Jean.
Cap Juby, 1927 - Tirée par Picard
Bougnères - soldat espagnol - Guillaumet - Riguelle - MermozNoter la "planchette" de Riguelle, morceau de contre-plaqué, comprenant un altimètre et une montre, s'accrochant sur la planche de bord, laquelle avait à demeure, le compte tours moteur, la cloche de pulsations de la pompe à essence et le thermomètre d'eau.
Mermoz lisant
Rapport incident Delaunay
LA CHANCE ÉTAIT AVEC NOUS
C'était donc vraiment normal de monter là-dedans sans rien voir ?... Comment continuer à attendre passivement sous cet électrisant ronflement ! J'étais soudain aussi décidé à décoller que mon compagnon.
La chance était avec nous; à la troisième traction sur l'hélice d'un Hamed survolté par l'idée du départ, notre Renault se remit à faire du vent. Sans plus attendre, mon interprète s'accrochait à l'aile pour me faire pivoter face au sud et je me trouvais, presque trop rapidement, prêt à décoller sur la partie de plage sûrement sans obstacles !
Je savais commettre une folie en me lançant ainsi, mais je ne pouvais plus me résigner à l'immobilité ! Ma vanité de débutant me regardait faire. J'étais dans l'état d'esprit d'un homme tenant un « banco » les poches vides, pour épater une « ravissante ».
... C'est fait ! J'ai ouvert les gaz mais je n'ai guère l'impression de prendre de la vitesse; l'écran de brume est toujours à la même distance devant moi. Sous mes roues, l'uniforme tapis de la plage devient à peine plus flou. J'écarquille les yeux désespérément, mais seul le ressac précipite son écume au-devant de mon aile droite. J'ai l'impression que mon moteur « n'arrache pas », mais je pense aussi, bientôt, qu'il serait temps de tirer sur le manche. Cependant, à la crainte de freiner prématurément ma machine, s'ajoute peut-être un peu trop celle d'abandonner ces dernières choses qui me sont encore perceptibles du sol... Soudain je réalise que mes pneus se sont d'eux-mêmes séparés du sable! Presque en même temps, sans savoir si c'est parce que je vire, la ligne de lames passe sous mes roues et s'infléchit brusquement à gauche...
AVEC LES FESSES
Là s'arrête la partie racontable de mon équipée. Je suis passé par tant d'impressions différentes au cours de cette première ascension sans visibilité que, pour en préciser les détails, il me faudrait forcément la romancer. Mon compte-tours passait de 1 650 pendant les cabrés à 2 200 dans les piqués ; l'instinct de conservation aidant, je compris vite que cet instrument aurait pu me renseigner énormément sur ma position, si j'avais été plus expérimenté. M'accrochant de mon mieux à ses indications, pour conserver mon assiette, j'interrogeais aussi mes fesses dont j'avais, si j'ose dire, mobilisé le centre nerveux.
Tout cela n'empêchait pas que, par moments, je me sentais désagréablement allégé ; je devais alors, de toutes mes forces, me cramponner au secteur de la manette des gaz et au manche. J'avais négligé de boucler ma ceinture de siège et cela n'arrangeait rien.
Au bout de cinq ou dix minutes de cet exercice (je n'aurais su dire) ma prison de brume était toujours aussi sombre. Lorsque je pris le temps d'interroger l'altimètre qui virevoltait au bout de la ficelle que j'avais au cou, je fus atterré !... Cet instrument me situait presque au sol ! Etais-je parti pour m'écraser sur le sable, ou, au contraire, pour un plongeon très au large de la côte ? Le fait d'avoir oublié de remettre mon altimètre à zéro avant de partir me rassurait et m'inquiétait à la fois... Je décidai subitement de ne plus me soucier de mon équilibre latéral, ni du gouvernail de direction, pour ne m'occuper exclusivement que du régime moteur. Je bloquai donc mon palonnier, bien au milieu de sa course, en le coinçant des talons. Hélas! l'instant d'après, une glissade faisait vibrer les haubans, le vent de côté m'arrachait presque les lunettes et je n'aurais pu garder le palonnier absolument immobile... Si j'avais eu le temps de me le demander, je n'aurais su pourquoi je « mettais » du manche à droite plutôt qu'à gauche, ou du pied à gauche plutôt qu'à l'opposé ? Mon moteur, heureusement, tournait assez rond, mais je le sentais chauffer terriblement, à force d'être malmené plein gaz.
J’APERÇOIS ENFIN L’AVION DE MERMOZ EN EMERGEANT DANS LE CIEL D’AZUR
Cependant, les écarts de ses vitesses de rotation diminuaient depuis que j'économisais mes mouvements de pieds. Lorsque j'osai regarder de nouveau mon altimètre, je fus agréablement surpris de voir son aiguille plus près de 100 mètres que de 50. Cela me redonna confiance et pondéra mes réactions. Je me permis même le luxe de refermer un peu la manette des gaz. Quand l'épaisse vapeur, autour de moi, commença à blanchir, je compris que j'allais gagner !... En une apothéose que je n'oublierai jamais, j'émergeais enfin dans un ciel d'azur, au-dessus d'un océan de crème neigeuse. Au mât de cocagne de l'audace, j'avais même gagné un soleil tout neuf qui me conseillait de virer, car je faisais cap vers l’est. Au bout de quelques minutes, Hamed me tapait sur l'épaule en me désignant quelque chose devant moi; au comble de l'enthousiasme, je pus distinguer l'escarbille noire que faisait l'avion de Mermoz dans toute cette lumière. Un quart d'heure après, nous arrivions à l'extrémité du banc de brouillard et recommencions, comme s'il ne s'était rien passé, à grignoter la côte monotone. Jamais on n'eut vent, à Toulouse, de cet atterrissage hors programme et je rends grâce, là encore, à mon précieux équipier. Le Patron avait beaucoup moins tendance à admirer ces sortes d'équipées qu'à les classer dans les inutiles batifolages.
Henri DELAUNAY.
L'année suivante, en 1928,Delaunay sera aussi l'équipier de Mermoz en AMS, Amérique du Sud, sur le tronçon de Rio à Buenos Aires. Une compétition féroce et amicale s'engage entre ces deux pilotes sur les vols de nuit à mettre en place : pure folie et pourtant. Il faut bien rattraper le retard perdu la nuit sur les bateaux, que de temps perdu ! Jean Mermoz,avec l'accord de Julien Pranville, initiera les vols de nuit sur ce tronçon périlleux le 16 avril et le 7 mai, c'est la catastrophe et l'incendie à bord du Laté 26 du pilote Delaunay, du mécanicien Marsaud et de deux journalistes brésiliens, l'accident de Florianopolis, à découvrir le rapport dans les pièces jointes et surtout dans son livre de souvenirs :"Araignée du soir". L'histoire se finit bien, je vous rassure...
La ligne Toulouse - Buenos Aires est ouverte
depuis le 1er mars 1928 :
" ... Et puis, j'ai tellement la poisse ces temps-ci ! ... Depuis deux mois que Mermoz et moi nous assurons la liaison hebdomadaire entre Rio et Buenos Aires, je ne me souviens pas d'avoir eu, une seule fois, du vent favorable. c'est toujours Mermoz qui bat des records de vitesse, aussitôt claironnés par les presses locales, et je suis forcé d'avouer que cela m'agace un peu."
Carnet Mermoz, Santos - Rio
INSPECTION GÉNÉRALE DE DIDIER DAURAT EN AMÉRIQUE DU SUD 1929
De retour d'inspection en Amérique du Sud, DD, Didier Daurat, fidèle à ses habitudes, rédige de nombreuses notes et appréciations de tous les personnels rencontrés. Au sujet de Mermoz et Etienne, à Buenos Aires, en voici la synthèse, un document incroyable de la Fondation Latécoère :
Jean Mermoz : Excellent chef d'aéroplace. Très intelligent et équilibré. Pilote d'élite, modèle de courage, de dévouement et de modestie. Fait ses étapes régulièrement et simplement, parfaitement discipliné. Par son exemple a su entraîner les autres pilotes pour vaincre les difficultés de la ligne. Nous lui devons notre régularité.
Victor Etienne : Excellent pilote, consciencieux et dévoué, nous donne entièrement satisfaction à tous égards. Pendant les absences de Mermoz dirige l'aéroplace de Buenos Aires avec beaucoup d'intelligence.
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