Rallye Toulouse 03/10
Jeudi 3 octobre 2024
De retour en Europe !
Team numéro 17 : Alain et Philippe (Les Yovos du Ciel)
Ce rallye a été pour nous, l’équipe des « Yovos du Ciel », l’occasion de retrouvailles après près de 40 ans. Nous nous sommes connus au Togo, où l’un était pilote de brousse et l’autre, pilote privé. Le rallye Toulouse – Saint-Louis a été, en quelque sorte, un retour sur le continent africain, où la magie se renouvelle à chaque instant.
Les couleurs africaines, vues du ciel, sont saisissantes et changeantes, révélant la diversité des paysages parcourus. Imaginez ces vastes étendues du désert du Sahara, parsemées de nuances d'ocre et de sable doré à perte de vue, entrecoupées de dunes aux tons rougeâtres sous l’intensité du soleil. Des oasis apparaissent, éclats de vert profond contrastant avec les teintes plus neutres du désert.
En longeant les côtes, le bleu profond de l’Atlantique se mêlait parfois aux nuances turquoise plus claires, là où l'océan rencontrait des plages dorées ou des falaises abruptes. Survolant les terres agricoles, nous découvrions des patchworks de verts et de bruns, avec des rivières argentées serpentant à travers les étendues plus arides, et des montagnes aux crêtes violacées et brunes dans les régions rocailleuses.
Les conditions météorologiques modifiaient souvent ces vues : les vents du désert floutaient l'horizon, et les nuages bas, couvrant ces terres arides, nous offraient un peu de fraîcheur dans notre aéronef, le plus léger du rallye.
Aujourd'hui, avec beaucoup de nostalgie, l’avant-dernière étape nous a menés de Fès à Muchamiel, en Espagne. Après une visite éclair de la médina de Fès, l'une des plus anciennes et des plus vastes du monde, connue pour son architecture islamique médiévale, ses ruelles labyrinthiques et ses souks animés, nous avons dîné au Riad Damia. Ce Riad, construit en 1928, est une demeure historique, un véritable "petit palais", incarnant l’élégance de l’époque avec son architecture andalouse et mauresque. Autrefois résidence privée d'une famille notable, il illustre l’influence andalouse dans l’art de vivre marocain.
Le lendemain, départ de la médina à 7h30 pour l’aéroport de Fès. Sous un ciel couvert, nous avons dû chercher des trouées de ciel bleu pour poursuivre notre montée et voler, tels de grands oiseaux de fer, au-dessus des nuages au début de l’étape. Conscients des montagnes que nous survolions, nous envisagions toujours l’éventualité d’une panne moteur et la meilleure vallée à atteindre en cas d’urgence.
Après un survol maritime de la Méditerranée, de l’est de Nador au Maroc jusqu'à l’est d'Almería en Espagne, qui a duré 55 minutes, nous avons atteint notre destination, Muchamiel.
Ainsi, avec notre ULM CTLS, depuis notre départ de Toulouse-Lasbordes le 21 septembre 2024, nous avons parcouru 7 826 km (4 226 nm), l’équivalent d’un Paris – Fort-de-France ou Paris – New Delhi, en 15 étapes et 40 heures et 54 minutes de vol. Demain, il ne nous reste que 669 km et 3 heures et 23 minutes de vol pour retourner à Toulouse-Lasbordes.
Ce fut un grand plaisir d’avoir rencontré tous les participants et les organisateurs de ce fabuleux rallye, ancré dans l’histoire de l’Aéropostale. Cet événement a rassemblé des personnes venant de diverses régions, unies par la même passion pour l’aviation. Merci encore à toute l’organisation pour cette aventure inoubliable. Keep the blue side up !
Philippe et Alain
"On top" de Fès à Al Hoceima
La couverture nuageuse s'efface en arrivant vers Al Hoceima
Plus aucun nuage sur la côte marocaine, elle nous offre ses plus beaux paysages pour un dernier au revoir
La trace GPS des Yovos du Ciel vers Alicante
Rebonjour l'Europe !
Histoire et petites histoires de Jean-Claude Nivet
Voici notre dernière escale avant d'atteindre notre port d'attache, Toulouse Montaudran. Nous étions, au départ de notre Rallye en octobre 1924, Jean Mermoz descendait du train qui l'emmenait de Paris, gare d'Orsay vers sa destiné flamboyante. Nous voici de nouveau à Alicante, après cette longue étape sur la mer, nous entrons dans la légende de ce pilote aviateur, nous voici en décembre 1936, Jean Mermoz et son équipage ont rejoint les étoiles.
En cette année 2024, nous célébrons et honorons la mémoire de ces deux Grands et de leurs Compagnons de route, de vol devrions-nous dire. Quoi de plus émouvant que des articles de presse de Saint-Ex parlant de son ami Jean Mermoz ; quoi de plus élogieux qu'un discours du ministre de l'air Pierre Cot aux Invalides en hommage à Mermoz, à ses compagnons, aux Aviateurs et, pour notre dernière veillée aéropostale lisez ou relisez ce témoignage poignant de Joseph Kessel au sujet de son ami Jean Mermoz paru dans la revue Icare N°48/49 HIVER 1968/PRINTEMPS 1969. Et découvrons ces articles de presse de l'époque.
Et quelle surprise, de découvrir, un jour en Polynésie française, chez Jean François Chazotte, instructeur et ami plongeur, ce portrait inattendu de Jean Mermoz par Uderzo dans le journal "Sud Ouest" du 9 décembre 1956. Jean François m'apprit aussi qu'il était monté "à cheval" sur le dos de ce personnage hors du commun, quelle émotion !
Un grand merci à Tous. Bon vol et rendez-vous demain à Toulouse !
Jean Claude
Illustration de Mermoz par Uderzo, 1954
ON RECHERCHE TOUJOURS LA CROIX DU SUD
"LE TEMPS", 11 décembre 1936
Les recherches pour retrouver Mermoz et ses compagnons se poursuivent sans relâche. Le "Ville de Santiago" est rentré à Dakar hier au soir à 23 h 45. Il n'est pas reparti ce matin, ses moteurs devant être révisés avant qu'il ne parte dans quelques jours avec le courrier pour l'Amérique du Sud.
L'aviso colonial "d'Entrecasteaux", l'aviso n°1 d'Air France, le cargo Formose des Chargeurs Réunis et le bateau catapulteur allemand sont toujours sur les lieux où l'hydravion a signalé sa dernière position. L'hypothèse que l'on voulait écarter - car elle ne permettait plus l'espoir - la chute brutale dans l'océan - semble devenir la plus vraisemblable - l'hydravion désemparé, n'obéissant plus aux commandes a pu percuter sur les flots et être aussitôt englouti. Tel fut très probablement le sort d'un appareil du même type le "Ville de Buenos-Aires" disparu ainsi sur l'Atlantique Sud.
M. Pierre Cot ministre de l'air a fait ce matin la déclaration suivante : Depuis de longues heures nous attendons anxieux des nouvelles de Mermoz et de son équipage. Les familles angoissées espèrent d'instant en instant percevoir l'appel de salut. Le silence toujours plus lourd seul se prolonge. Au nom du gouvernement, au nom de la France entière, je m'associe publiquement à l'inquiétude de ceux qui doutent. Nul n'a le droit de désespérer. Mermoz grand pilote parmi les plus grands pionniers de la voie aérienne de l'Atlantique Sud concentre sur sa personne l'admiration unanime des aviations française et étrangère. Ses compagnons Pichodou, Cruveilher, Lavidalie, Ezan partagent sa gloire. Dès l'appel de détresse tous les moyens possibles d'aide et de recherche ont été mis en œuvre. La marine et l'aviation ont volé dans un fraternel élan au secours des camarades en danger, toutes nos pensées sont sur ces eaux lointaines que navires et avions continuent à explorer.
Le Croix du Sud
IL FAUT ENCORE CHERCHER MERMOZ
par Antoine de Saint-Exupéry
"L'INTRANSIGEANT", 13 décembre 1936
Les hommes se découragent vite. Mermoz a disparu depuis quatre jours et déjà on ne parle plus de lui qu'au passé. Le lendemain même de sa disparition, on l'évoque déjà comme un mort. On accepte ainsi l'irréparable, et, dans ce climat singulier, les recherches risquent de se détendre. Il faut garder beaucoup de confiance pour qu'elles soient fertiles.
Ce n'est pas l'amitié qui me fait protester. Les amis, hélas ! sont mortels aussi. Mais, tout d'abord, quelles indications possède-t-on, sinon cette absence de message radio entre un incident mécanique et l'amérrissage ? L'incident a pu s'aggraver (incendie ou rupture d'arbre, d'hélice) au point de provoquer une chute. mais rien ne prouve que le message : "Coupons le moteur arrière droit" n'a pas coïncidé avec l'instant même où, ce membre malade déjà retranché, il ne pouvait plus provoquer de drame. La descente, dans ce cas, fut normale et l'accident fut un accident d'amérrissage. Une coque crevée laisse quelques secondes de marge. S'il en est ainsi, Mermoz et ses compagnons flottent à bord du canot de secours.
Rien ne prouve que cette hypothèse soit probable, on n'a point trouvé le canot. Mais rien ne prouve non plus qu'il y est eu chute. celle-ci, en général, au point d'impact avec la mer crée une plaque d'huile qui brille au soleil comme un miroir et se distingue mieux qu'un canot : on a trouvé aucune tâche d'huile. On ne sait rien.
A de telles remarques, il est répondu :
- Depuis quatre jours, on arpente la mer. Si l'équipage vivait, on l'aurait déjà découvert.
- Non
Des exemples
Ce n'est pas l'amitié qui parle, c'est l'expérience. Quiconque a participé à des recherches aériennes pense comme moi. Il est aisé de multiplier les exemples d'échec, ils sont aussi nombreux que ceux de réussite. Guillaumet, Pichodou, Bourgat, Riguelle, Verneihl et moi, nous avons pendant cinq jours, de l'aube au soir, cherché l'épave de Reine et Serre dans le désert : nous n'avons rien trouvé. Et nous supposions que l'équipage s'était, dans la brume, abîmé en mer. Or, l'épave existait et l'équipage était vivant. mon camarade Deley et moi, nous avons, pendant cinq jours, de six heures du matin à sept heures du soir, recherché Guillaumet lui-même dans la Cordillère des Andes. L'avion était intact et, cependant, ni l'un ni l'autre ne l'avons aperçu. Un autre camarade, Ville, disparut quatre jours en Amérique du Sud, entre Montevideo et Porto Alegre, une région habitée. Point de nouvelles. Ville était donc mort. Nous avons fouillé le parcours durant quatre jours, nous pensions que l'écrasement et l'incendie avaient rendu cet avion invisible. or, l'appareil était intact encore, mais enlisé dans un marais. Il avait fallu quatre jours à Ville pour se dépétrer de sa boue. Guillaumet, Dumesnil et moi, échoués en panne en Mauritanie, nous avons vu, en 1928, passer trois avions de recherche à moins de trois kilomètres de nous. Ils ne nous ont pas vus. Enfin, quand je me suis écrasé en Lybie, l'année dernière, plus de vingt avions militaires anglais et égyptiens m'ont cherché, et m'ont cherché là où je me trouvais. Au soir du quatrième jour, ils n'avaient toujours rien découvert.
Voilà pourquoi la disparition de Mermoz, malgré les quatre jours écoulés, ne prouve rien encore. Nous ne savons rien de plus qu'à la première heure. ces pointes poussées par les avions de secours à mille kilomètres de Dakar ne démontrent rien. ces coups de filet, lancés un peu au hasard, n'ont ramené ni signe de vie ni signe de mort. Mais, qu'est-ce que quatre journées s'il s'agit d'arpenter la mer en tenant compte non seulement des dérives possibles, mais du parcours inconnu que put encore réaliser Mermoz après qu'il eut coupé un de ses moteurs ? S'il est un signe qui demeure inquiétant et nous fait tout craindre, c'est celui que nous connaissions dès la première heure : pourquoi ne fut-il expédié avant l'amérrissage aucun S.O.S. ? C'est ce silence de quelques minutes qui nous angoisse bien plus que cette disparition de quatre jours.
Bas-relief d'une cathédrale à Dakar, Mermoz l'Archange
PIERRE COT, MINISTRE DE L'AIR, DISCOURS DES INVALIDES
Décembre 1936
Messieurs,
La France entière est en deuil, il n'y a pas un village, pas un foyer qui n'ait été plongé, par la disparition de La “Croix-du-Sud“, dans l'angoisse puis dans la peine. Il n’est pas un homme de chez nous, qui n’ait éprouvé, en apprenant que Jean Mermoz et ses compagnons ne reviendraient plus, les mêmes sentiments que s’il avait perdu l’un des siens. C’est ainsi que la patrie reconnaît ses meilleurs enfants. La douleur du peuple, mieux que les honneurs officiels, sacre les héros et confère à leur gloire une auréole nationale.
Certes, nous le savons : la conquête de l’air coûte cher à l’humanité. Les routes du ciel sont comme jalonnées par nos morts. Dans la course du progrès, rien ne nous est donné. Tout s’achète au prix du sang. Et, ce marché tragique, c’est souvent le sang le plus prestigieux qu’il faut répandre. Quand donc aurons-nous suffisamment payé ?
La grande famille de l’aviation a pourtant l’habitude de ces malheurs qui forment l’ordinaire de la vie. Nous venons souvent à ces funèbres rendez-vous. Quelle amertume de songer, qu’ici même, en ce lieu chargé de gloire, voici deux ans, c’était Jean Mermoz qui prenait la parole pour dire à Bajac un dernier adieu. Les rôles ont changé. C’est lui que nous pleurons. Il avait trouvé, ce jour-là, pour célébrer la grandeur de la mort du pilote, des accents que son propre destin a rendus prophétiques.
Cinq hommes ont disparu avec la « Croix du Sud ». Pendant des jours et pendant des nuits, nous avons répété leurs noms, comme si nos appels pouvaient les secourir : Mermoz, Lavidalie, Pichodou, Ezan, Cruveilher. Nous avons prolongé notre attente, afin de prolonger notre espoir. Nous avons retardé l’heure du suprême hommage à leur mémoire, non seulement par respect pour leurs familles, accrochées désespérément à la pensée de je ne sais quel miracle, mais aussi par crainte, en parlant trop vite d’eux au passé, de paraître douter de leur force et, par là, de les affaiblir s’ils luttaient encore !
Trois semaines se sont écoulées. Ce temps est irréparable. Nous ne savons ni quand, ni comment ils sont morts. Nous savons simplement qu’ils sont entrés dans l’histoire de notre pays par une porte glorieuse et, qu’au nom du pays tout entier, le Gouvernement et l’Aviation française devaient le proclamer. Tel est, Messieurs, le sens de cette cérémonie.
Hommage national à l'équipage du Croix du Sud aux Invalides
Hommage national à l'équipage du Croix du Sud aux Invalides
LA DEUXIEME VIE DE JEAN MERMOZ
" ... Parce que j’ai conté dans un livre la vie de Mermoz et parce qu’une chance insigne me l’a donné pour ami, je reçois, année après année, des lettres d’inconnus où l’admiration, à son égard, n’a d’égale que la tendresse.
Et ce ne sont pas ses contemporains qui écrivent. Ce ne sont pas des gens qui l’ont approché, ou qui ont entendu parler de lui, alors qu’il menait des appareils, aujourd’hui incroyables, au-dessus des jungles, déserts, montagnes et flots. Mais des adolescents, des jeunes filles, des enfants. Ils n’étaient pas nés quand Mermoz disparut.
Ils n’aiment pas en lui « le héros », « l’archange ». Ils sentent qu’il aurait, à ces mots, haussé les épaules, ses épaules de bagarreur, d’athlète. Par une divination singulière, par une sorte de sixième sens, ils l’aiment pour sa générosité et sa modestie, sa force et sa gentillesse, son courage et son angoisse, ses appétits charnels et ses exigences de cœur et d’esprit, son rire naïf et ses yeux de mélancolie. Mermoz. Le grand vivant. Ainsi, de génération en génération, il vit sa deuxième existence. La plus vraie peut-être. Qui ne connaît pas d’âge et a, pour demeure infinie, la mémoire des hommes."
Joseph Kessel de l'Académie Française
Revue Icare N°48/49 Hiver 1968
Rapport incident Delaunay
LA CHANCE ÉTAIT AVEC NOUS
C'était donc vraiment normal de monter là-dedans sans rien voir ?... Comment continuer à attendre passivement sous cet électrisant ronflement ! J'étais soudain aussi décidé à décoller que mon compagnon.
La chance était avec nous; à la troisième traction sur l'hélice d'un Hamed survolté par l'idée du départ, notre Renault se remit à faire du vent. Sans plus attendre, mon interprète s'accrochait à l'aile pour me faire pivoter face au sud et je me trouvais, presque trop rapidement, prêt à décoller sur la partie de plage sûrement sans obstacles !
Je savais commettre une folie en me lançant ainsi, mais je ne pouvais plus me résigner à l'immobilité ! Ma vanité de débutant me regardait faire. J'étais dans l'état d'esprit d'un homme tenant un « banco » les poches vides, pour épater une « ravissante ».
... C'est fait ! J'ai ouvert les gaz mais je n'ai guère l'impression de prendre de la vitesse; l'écran de brume est toujours à la même distance devant moi. Sous mes roues, l'uniforme tapis de la plage devient à peine plus flou. J'écarquille les yeux désespérément, mais seul le ressac précipite son écume au-devant de mon aile droite. J'ai l'impression que mon moteur « n'arrache pas », mais je pense aussi, bientôt, qu'il serait temps de tirer sur le manche. Cependant, à la crainte de freiner prématurément ma machine, s'ajoute peut-être un peu trop celle d'abandonner ces dernières choses qui me sont encore perceptibles du sol... Soudain je réalise que mes pneus se sont d'eux-mêmes séparés du sable! Presque en même temps, sans savoir si c'est parce que je vire, la ligne de lames passe sous mes roues et s'infléchit brusquement à gauche...
AVEC LES FESSES
Là s'arrête la partie racontable de mon équipée. Je suis passé par tant d'impressions différentes au cours de cette première ascension sans visibilité que, pour en préciser les détails, il me faudrait forcément la romancer. Mon compte-tours passait de 1 650 pendant les cabrés à 2 200 dans les piqués ; l'instinct de conservation aidant, je compris vite que cet instrument aurait pu me renseigner énormément sur ma position, si j'avais été plus expérimenté. M'accrochant de mon mieux à ses indications, pour conserver mon assiette, j'interrogeais aussi mes fesses dont j'avais, si j'ose dire, mobilisé le centre nerveux.
Tout cela n'empêchait pas que, par moments, je me sentais désagréablement allégé ; je devais alors, de toutes mes forces, me cramponner au secteur de la manette des gaz et au manche. J'avais négligé de boucler ma ceinture de siège et cela n'arrangeait rien.
Au bout de cinq ou dix minutes de cet exercice (je n'aurais su dire) ma prison de brume était toujours aussi sombre. Lorsque je pris le temps d'interroger l'altimètre qui virevoltait au bout de la ficelle que j'avais au cou, je fus atterré !... Cet instrument me situait presque au sol ! Etais-je parti pour m'écraser sur le sable, ou, au contraire, pour un plongeon très au large de la côte ? Le fait d'avoir oublié de remettre mon altimètre à zéro avant de partir me rassurait et m'inquiétait à la fois... Je décidai subitement de ne plus me soucier de mon équilibre latéral, ni du gouvernail de direction, pour ne m'occuper exclusivement que du régime moteur. Je bloquai donc mon palonnier, bien au milieu de sa course, en le coinçant des talons. Hélas! l'instant d'après, une glissade faisait vibrer les haubans, le vent de côté m'arrachait presque les lunettes et je n'aurais pu garder le palonnier absolument immobile... Si j'avais eu le temps de me le demander, je n'aurais su pourquoi je « mettais » du manche à droite plutôt qu'à gauche, ou du pied à gauche plutôt qu'à l'opposé ? Mon moteur, heureusement, tournait assez rond, mais je le sentais chauffer terriblement, à force d'être malmené plein gaz.
J’APERÇOIS ENFIN L’AVION DE MERMOZ EN EMERGEANT DANS LE CIEL D’AZUR
Cependant, les écarts de ses vitesses de rotation diminuaient depuis que j'économisais mes mouvements de pieds. Lorsque j'osai regarder de nouveau mon altimètre, je fus agréablement surpris de voir son aiguille plus près de 100 mètres que de 50. Cela me redonna confiance et pondéra mes réactions. Je me permis même le luxe de refermer un peu la manette des gaz. Quand l'épaisse vapeur, autour de moi, commença à blanchir, je compris que j'allais gagner !... En une apothéose que je n'oublierai jamais, j'émergeais enfin dans un ciel d'azur, au-dessus d'un océan de crème neigeuse. Au mât de cocagne de l'audace, j'avais même gagné un soleil tout neuf qui me conseillait de virer, car je faisais cap vers l’est. Au bout de quelques minutes, Hamed me tapait sur l'épaule en me désignant quelque chose devant moi; au comble de l'enthousiasme, je pus distinguer l'escarbille noire que faisait l'avion de Mermoz dans toute cette lumière. Un quart d'heure après, nous arrivions à l'extrémité du banc de brouillard et recommencions, comme s'il ne s'était rien passé, à grignoter la côte monotone. Jamais on n'eut vent, à Toulouse, de cet atterrissage hors programme et je rends grâce, là encore, à mon précieux équipier. Le Patron avait beaucoup moins tendance à admirer ces sortes d'équipées qu'à les classer dans les inutiles batifolages.
Henri DELAUNAY.
L'année suivante, en 1928,Delaunay sera aussi l'équipier de Mermoz en AMS, Amérique du Sud, sur le tronçon de Rio à Buenos Aires. Une compétition féroce et amicale s'engage entre ces deux pilotes sur les vols de nuit à mettre en place : pure folie et pourtant. Il faut bien rattraper le retard perdu la nuit sur les bateaux, que de temps perdu ! Jean Mermoz,avec l'accord de Julien Pranville, initiera les vols de nuit sur ce tronçon périlleux le 16 avril et le 7 mai, c'est la catastrophe et l'incendie à bord du Laté 26 du pilote Delaunay, du mécanicien Marsaud et de deux journalistes brésiliens, l'accident de Florianopolis, à découvrir le rapport dans les pièces jointes et surtout dans son livre de souvenirs :"Araignée du soir". L'histoire se finit bien, je vous rassure...
La ligne Toulouse - Buenos Aires est ouverte
depuis le 1er mars 1928 :
" ... Et puis, j'ai tellement la poisse ces temps-ci ! ... Depuis deux mois que Mermoz et moi nous assurons la liaison hebdomadaire entre Rio et Buenos Aires, je ne me souviens pas d'avoir eu, une seule fois, du vent favorable. c'est toujours Mermoz qui bat des records de vitesse, aussitôt claironnés par les presses locales, et je suis forcé d'avouer que cela m'agace un peu."
Carnet Mermoz, Santos - Rio
INSPECTION GÉNÉRALE DE DIDIER DAURAT EN AMÉRIQUE DU SUD 1929
De retour d'inspection en Amérique du Sud, DD, Didier Daurat, fidèle à ses habitudes, rédige de nombreuses notes et appréciations de tous les personnels rencontrés. Au sujet de Mermoz et Etienne, à Buenos Aires, en voici la synthèse, un document incroyable de la Fondation Latécoère :
Jean Mermoz : Excellent chef d'aéroplace. Très intelligent et équilibré. Pilote d'élite, modèle de courage, de dévouement et de modestie. Fait ses étapes régulièrement et simplement, parfaitement discipliné. Par son exemple a su entraîner les autres pilotes pour vaincre les difficultés de la ligne. Nous lui devons notre régularité.
Victor Etienne : Excellent pilote, consciencieux et dévoué, nous donne entièrement satisfaction à tous égards. Pendant les absences de Mermoz dirige l'aéroplace de Buenos Aires avec beaucoup d'intelligence.
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