Rallye Toulouse 24/09

Mardi 24 septembre 2023

 

Sur les traces du Petit Prince à Tarfaya

Image rallye toulouse tarfaya

C'est une navigation somptueuse qui attendait les pilotes aujourd'hui. Cette étape reliant Agadir à Tarfaya a toujours quelque chose de magique et tous les participants ont pu rejoindre sans problème, sous une tempête de ciel bleu, la piste en sable de Cap Juby.

Le petit prince

Notre escale à Tarfaya est l'occasion d'être en pleine immersion dans le désert. Au cœur de la rencontre entre deux étendues infinies, le Sahara et l'océan Atlantique.

Mais au-delà de cette expérience particulière, c'est aussi l'occasion de livrer plusieurs caisses de matériel scolaire. Mention spéciale à l'équipage du DA40 "Courrier Sud", Yves Leboucher, Nicolas Macheboeuf et Camille Réné, qui a remis 50kg de matériel à l'association "Les Amis de Tarfaya" qui seront distribués aux écoles locales. Merci beaucoup à eux !

À leur arrivée, les participants ont pris place dans le bivouac installé juste à côté de la piste pour l'occasion. Ensuite, ils sont allés visiter le fort espagnol ainsi que le Musée Antoine de Saint-Exupéry.

Briefing a agadir

Briefing à Agadir avant de s'envoler vers Cap Juby !

 

Plage n1 de cap juby

 

Plage n 2 de cap juby

Les plages de Cap Juby s'étendent à l'infini

 

Team numéro 6 : Gérard et Patrick

Nous avons rencontré le Petit Prince et son papa Saint-Exupéry

Il y a deux jours l’équipage de F-BUHE était en galère. 150 nautiques après les côtes marocaines une odeur bizarre, puis tout à coup de la fumée qui sort du capot moteur, une flamme, un bruit sec. Que se passe-t-il ? Les deux anciens que nous sommes avec des expériences différentes ne perdent pas leur sang-froid.

« nous avons un problème ! »

L’analyse est rapidement faite. Nous ne comprenons pas ce qui se passe techniquement.

Nous prenons la décision de nous dérouter sur RABAT. Nous alertons notre assistance mécanique qui est à l’arrière et les contrôleurs nous ouvrent la voie jusqu’à RABAT.

Patrick est en liaison avec les contrôleurs, observe le sol et je continue à piloter selon les indications de navigation.

Sans rien nous dire, nous faisons vite le constat tout d’abord nous protéger. Deuxièmement sauver l’avion et enfin rallier l’étape. Les mêmes réflexes que les pionniers de l’aéropostale.

L'analyse est rapide : le cône de l’hélice a disparu et a frotté sur le capot. L’assistance mécanique est déjà là, nous passerons la nuit à RABAT.

CHAPEAU À L’ORGANISATION D'AIR AVENTURES.

Le lendemain, une seule idée: rallier Agadir, une étape et demie, en une journée. Pari réussi.

Ce matin, départ d’Agadir, nous commençons réellement à rentrer dans le désert, les petits villages, les petites zones de culture sont de plus en plus espacées. Le désert  s’arrête au bord de l’océan avec de grandes falaises de sable dont on se demande comment elles peuvent résister à la mer et aux vents.

Tout proche, la nationale 1 toute droite, presque déserte. Il y a au moins un élément rassurant en cas de panne, nous avons un très beau terrain d’atterrissage.

Et puis soudain au détour d’un Cap: un village, une digue, nous sommes à Tarfaya.


Sur le bord de la côte du sable, une bande légèrement plus colorée, il y a comme un bâtiment juste au bord de la mer. C’est un vieux fort espagnol, la bande de sable colorée, c’est Saint-Exupéry qui l’a fait réaliser: une piste, 650 m de longueur. C’est une étape de l’aéropostale, Saint Ex y a vécu 18 mois. Adossée au fort, une petite Guitoune, c’était sa maison. En finale dans l’axe de la piste, une antenne avec ses haubans.

La piste n’est ouverte qu’une fois, pour nous, qui poursuivrons notre chemin sur les traces de nos ancêtres. Pour se poser, il faut faire une baïonnette. Tout le monde se pose heureux.

Nous avons accompli notre rêve: se poser ici à Cap Juby!

Nous ramenons les avions en bout de piste

Le bivouac nous attend, et puis, à la porte de la Guitoune, un homme et un enfant sont là : SAINT EX, est-ce lui ? Oui, c’est sûr, ce n’est pas son hologramme, il est encore là. Il nous attend comme tous les ans.

Pas un mot mais un sourire, un sourire qui veut dire « merci d’être revenu ». Il pousse l’enfant en avant, mais, surprise c’est le petit prince !

Et le petit prince nous dit « on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ».

Gérard et Patrick 

F-BUHE

 

Cone d helice

Cône d'hélice manquant du F-BUHE

 

Equipage thierry et eric

L'équipage numéro 20, Thierry et Éric, se prend en photo avec l'historien du Rallye, Jean-Claude Nivet

 

Avions prets a partir

Le compte est bon, tous les avions sont là

 

Avion volant au dessus de la mer        Image en vol       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aile d avion au dessus d une plage

Antoine le medecin

Antoine Galy, le médecin du Rallye

Le bivouacLe bivouac, notre chambre pour la nuit

 

L'anecdote historique de Jean-Claude Nivet 



La mythique Cap Juby, bienvenus.

En cette année de 2024 où nous honorons la mémoire de deux pilotes devenus célèbres, l’un pour ses premiers pas chez Latécoère en 1924, le second pour sa disparition en Méditerranée en 1944, dans d’autres circonstances. Nous découvrons, très certainement, à Cap Juby, le lieu même de leurs premières rencontres sur la ligne des sables, entre les 7 février et le 5 mars 1927, de leur amitié naissante qui deviendra indéfectible.

Contrairement à ce qui est très souvent affirmé, Saint-Exupéry est d’abord arrivé sur le Casa-Dakar en tant que pilote-courrier basé à Dakar. Des témoignages importants sont là pour l’attester. Le retour de St Ex comme chef de l’escale de Juby sera effectif et officiel le 19 octobre de cette même année 1927, avec un ordre de mission très précis, cela est une autre histoire, la plus connue bien sûr.

Mais revenons à ces premières rencontres à Cap Juby. Au travers de la lettre de Mermoz à sa mère du 3 juin 1927, nous découvrons les dangers toujours présents lors de l’un de ses derniers vols sur le désert, avant d’être nommé chef d’escale à Agadir en juillet-août. Certainement que Didier Daurat souhaite le préserver pour un raid futur entre Toulouse et Saint-Louis du Sénégal, une future traversée de l’Atlantique Sud ou d’un nouveau rôle en Amérique, ou les trois peut-être ! Le remplacement de son coéquipier Eloi Ville par Henri Delaunay et, ce deuxième pilote de retour en France, indiqué dans cette lettre, très certainement Antoine de Saint-Exupéry.

Le témoignage : "Aile à aile avec Mermoz", du jeune pilote Henri Delaunay, le nouvel équipier de Jean Mermoz, sur la ligne des sables sera à découvrir lors de nos escales du retour à Villa Cisneros, Tan Tan et Mogador.

Je vous souhaite une excellente lecture sous les étoiles du Petit Prince pour les heureux et courageux participants de cette quarantième édition et sous le ciel de France pour nos chers lecteurs de notre newsletter.

  
Bien à vous. Jean Claude

Jean mermoz et des amis

JEAN MERMOZ : LES MAURES OU LA MORT !

 

Casa, le 3 juin 1927

"...Deux pilotes ont été relevés, dont mon coéquipier, et on a besoin de ceux qui restent pour entraîner les nouveaux. J’ai été assez heureux à mon dernier voyage de repêcher mon nouveau coéquipier, tombé en panne dans le plus mauvais secteur. J’ai dû me poser en vitesse, à peu de distance, malgré deux coups de fusils que les Maures m’ont tirés à bout portant. Mon camarade n’a eu que le temps de sauter dans mon appareil et nous avons décollé avec une douzaine de Maures à nos trousses, avec un peu de sang-froid, on arrive à s’en tirer. D’ailleurs, je commence à être entraîné à ce genre de sport."

Jean Mermoz

En début d’année 1926, les journaux ont publié la liste des récompenses de l’Aéroclub de France pour 1925. Jean Mermoz obtient une médaille d’argent, qui récompense une intense activité : il a parcouru 111.883 km, en 783 heures de vol, loin devant le second Henri Rozès 84.727 km en 620 heures.
De Casablanca le 2 mai il écrit à sa mère :
« Je viens de recevoir ma médaille de l’Aéroclub, pas mal du tout. Quand je serai fauché, je pourrai en tirer quelque chose au clou. Un petit morceau de gloire ne vaut pas très cher à l’heure actuelle. ».

Affecté à la ligne Casa–Dakar au début dès avril 1926. Il est rapidement confronté aux dures réalités des escales du Rio de Oro. À son tour, Mermoz est pris en otage. Parti le 22 mai 1926 de Casablanca pour Dakar, à l’aube, le Breguet XIV de Mermoz fait escale à Agadir, d’où il en repart à 8 h 50. Il est accompagné par Ataf, un interprète chleuh. Éloi Ville pilote le second Breguet, volant de concert, selon la consigne. Peu après Tiznit, le moteur de Mermoz présente des signes inquiétants de faiblesse. Il prend la décision de voler plus bas. Contraint de voler sous un banc de brume, les deux pilotes perdent le contact visuel.

Suite à la rupture mécanique de l’arbre à came de son moteur, Mermoz se pose en bordure de l‘océan, à 50 kilomètres au sud de Cap Juby, sans le savoir. Ils attendent le passage d’un des leurs, mais en vain. Manquant de repères, il se dirige, avec Ataf, cap au Sud sur près de trente kilomètres, sans succès. Ils font demi-tour et retrouvent leur avion blessé.

Le 24 mai, nouvelle tentative cette fois vers le Nord, pour un même résultat. Il ne leur reste plus d’eau et, le 25, Mermoz se résigne à boire l’eau du radiateur du vieux Breguet. Pris de graves douleurs au ventre, il décide de partir quel qu’en soit le prix : mieux vaut les Maures que la mort…

Ils sont recueillis par des Maures qui, grâce à l’intervention d’Ataf, les traitent convenablement et les ramènent dans la nuit du 27 à Cap-Juby. Il est échangé contre une rançon de 1 000 pesetas. L’affaire se termine bien pour lui.

Les recherches furent particulièrement difficiles, car l’avion qui l’accompagne l’avait vu descendre dans un trou de nuages près d’Ifni, et c’est dans cette région que les recherches s’étaient portées. Avec son interprète, il reste plusieurs jours sans savoir le point où il a atterri. Fait prisonnier par les Maures, il fut remis au gouverneur espagnol de Cap Juby le 27 mai moyennant une rançon de 1000 pesetas.
   
Dans sa lettre de Casablanca du 28 juin Jean raconte son aventure à ses grands-parents : « ... Aussi, c’est avec une joie non dissimulée que j’ai rencontré enfin les Maures. A toutes fins, je préférais celle de mourir par eux que de me dessécher de soif ...

Ci-joint, l’article d’un reporter du Petit Journal qui est passé à Juby le matin où je suis rentré du bled. Naturellement il embellit l’aventure et les Maures... Publicité trop criarde interdite !!! »

L’envoyé spécial du Petit Journal, le journaliste Maurice Pelletier, premier passager de la ligne Casablanca-Dakar, est probablement celui qui a publié dans un article un écrit, même une interview, consacré à Jean Mermoz, qu’il a rencontré à Cap Juby, quelques jours après sa libération de chez les Maures :

– Venez qu’on vous présente au concurrent de Reine. Un grand garçon aux traits fatigués s’incline.

– Notre ami Mermoz, qui avec Ville, forme la seconde équipe Casa-Juby. Il s’est, il y a cinq jours, perdu dans la brume. Les Maures, au bout de 36 heures, l’ont recueilli et ramené. On leur a versé une prime de 1.000 pesetas pour leurs soins. Vous avez été bien traité, Mermoz ?

– Aussi bien qu’on peut l’être au désert. Ils me cachaient chaque nuit dans des cavernes pour que d’autres tribus ne viennent pas m’enlever : pour la prime, vous comprenez. Comme repas, ce n’est pas fastueux : du lait caillé de chèvre, des morceaux de poumon ou de cœur, encore de chèvre, enroulés dans la panne, toujours de chèvre : on fait grillé ça au bout d’une baguette. Ca n’a duré que trois jours, heureusement. Sinon, je passais à l’état de fil de fer.

– Et vous savez ce qu’il a fait, une heure après son retour ? interrompt Jaladieu. Il a sauté dans un zinc et m’a accompagné pour aller démonter et ramener son moteur ! « Plein le buffet », notre Mermoz.

Telegrame du 24 mai 1926

Telegrame du 28 mai 1926

Telegrame du 30 mai 1926

 

RAPPORT JEAN MERMOZ
Compte rendu, panne et séjour chez les Maures

 

Parti de Casablanca comme pilote du courrier Cadasam bis du 22 mai 1926, j’arrive normalement à Agadir à 8 h.10 en compagnie de mon co-équipier VILLE, pilote du courrier Cadasam. Nous repartons à 8h50 à destination du Cap Juby, vent favorable N-NW. Nuages de brume dès le départ de plus en plus denses à mesure que nous avançons. Nous nous engageons au-dessus. VILLE un peu dans l’intérieur, moi sur la côte apparaissant çà et là à travers quelques trous.

Après Tiznit, nous naviguons sans voir le sol pendant une bonne demi-heure, VILLE toujours à gauche à peu de distance. A ce moment signe de défaillance brusque du moteur, claquement, baisses de régime fréquentes et prolongées. Par prudence, je décide alors de ne pas insister au-dessus de la brume prévoyant panne possible. Je m’engage donc dans faible éclaircie en mer, non sans avoir vu VILLE s’y dirigeant également. Parvenu en dessous à 150 mètres, moteur bafouillant toujours, la côte accidentée et la visibilité très faible préfère ne pas attendre mon co-équipier et je continue jusqu’à l’Oued DRaa. Vaste éclaircie à cet endroit, j’y tourne pendant près de dix minutes, mon moteur donne 1380 tours avec baisses de régime et vibrations inquiétantes. Ne voyant pas l’autre avion, je pense qu’il a dû continuer au-dessus. Je monte donc peu à peu et j’arrive au-dessus de nombreux bancs de brume qui me déplacent, je continue à chercher.

Je suis dérivé sans m’en apercevoir, sans m’en douter vers l’intérieur. Le moteur toujours aussi inquiétant. Je décide de continuer ma route et, voyant le sol assez fréquemment, je me dirige vers le Sud en gardant l’altitude pour plus de sécurité. Après 3 heures de vol et pensant me trouver à peu de distance de Juby, je commence à descendre sous les nuages et me retrouve dans l’intérieur à une cinquantaine de kilomètres de la côte, aperçue à ma droite. Je me dirige vers elle perpendiculairement à une altitude de 500 mètres, cherchant à distinguer Juby que je soupçonne dans les environs à droite ou à gauche; à 10 km environ de la mer, claquement sec, le moteur tourne à 1.000 tours, je me prolonge péniblement jusqu'à une étendue plate à 500 mètres de la côte (marée haute empêchant l’atterrissage sur la plage) ; je m’y pose normalement par vent presque nul sans avoir pu reconnaître ma situation par rapport à Juby que je n’ai pu entrevoir. Je reconnais le motif de la panne : pignon arbre à came gauche sauté, ouverture dans le carter du pignon, heure d’atterrissage : 11h40.

Comptant voir les appareils du courrier de Dakar si je me trouve au sud de Juby, je décide d’attendre. Sinon je me trouve au nord de Juby et, dans ce cas, je verrai l’appareil de Ville ou l’avion parti à ma recherche. Pas de Maures à l’horizon. Après deux heures attente pas d’avion. Je me crois alors au nord et espère alors vainement l’avion de dépannage durant l’après-midi. Le soir je n’ai rien vu. Incertitude complète. L’interprète ne connaissant pas la région ne peut me donner aucun renseignement. Je m’installe dans un coffre et j’y passe la nuit.

DIMANCHE 23 MAI - J’attends toute la journée l’avion devant me rechercher. Toujours ni Maures, ni chameaux. Le vent de sable soufflant en rafales. La chaleur et les conserves font descendre rapidement le contenu de notre bonbonne d’eau, insuffisante. Nous faisons, avec l’interprète, l’exploration sur les dunes environnant l’endroit où nous nous trouvons. Le soir arrivé, incertitude aussi complète que la veille. Je décide alors, pour le lendemain, de marcher 25 à 30 km dans le sud. Si nous n’avons rencontré ni Juby, ni Maures, nous reviendrons à l’appareil le même soir pour repartir le lendemain vers le nord. Nous passons donc une autre nuit à l’appareil.

LUNDI 24 MAI - Nous partons au jour avec l’interprète, transportant ce qui nous reste d’eau, des tomates, une boîte de pain et deux boîtes de sardines. Je laisse un mot sur le livret moteur indiquant la direction que nous suivons et nous marchons sans arrêt sur la plage jusqu'à midi environ. Nous apercevons un vapeur passant à 500 mètres environ de la côte, remontant vers le nord; semblant ne pas voir nos signaux, il passe outre. Nous continuons notre chemin une heure. De plus en plus de sable et de dunes, pas de végétation, ni de Juby, nous revenons sur nos pas et nous arrivons exténués aux premières heures de la nuit à l'appareil. Nouveau repos dans un coffre jusqu’au lendemain.

MARDI 25 MAI - Réveil au jour. J’arrive avec un bout de fer et une pierre à enlever le bouchon de vidange du radiateur et à en mettre un peu dans notre bonbonne. Nous n’avons pas bu depuis douze heures et le vent emplit de sable les conserves dès la boîte ouverte. Nous partons vers le nord par la plage avec l’intention de continuer notre route jusqu’à la limite extrême de nos forces et de ne pas revenir à l’appareil. Nous espérons apercevoir les Maures, comme me l’assure l’interprète. Après deux heures de marche, j’aperçois au loin des Maures et des chameaux, venant vers nous. L’interprète s’avance vers eux, discute un quart d’heure, me faisant signe d’avancer à mon tour. Contact sans histoire. L’interprète me dit alors qu’ils ont décidé d’aller me changer à Juby contre rançon et qu’en attendant ils me garderont quelques jours. Puis, ayant eu le tort de les renseigner sur l’endroit où se trouvait l’appareil avant que je ne prenne contact avec les Maures et que je puisse le lui interdire, l’interprète accompagna lui-même les Maures jusqu’à l’avion avec deux chameaux, moi restant à l’endroit même de la rencontre, gardé à vue. Ils en reviennent à la tombée de la nuit, ramenant sur les chameaux dans des sacs tout ce qui se trouvait dans l’avion, toujours intact. Ils me font ensuite monter sur un chameau à mon tour, puis après une heure de marche, nous nous arrêtons au bord de la mer et je me cache dans les rochers au pied de la falaise, craignant que d’autres Maures ne viennent m’enlever. Après m’avoir donné à boire et à manger, sans trop de brutalité, ils me laissent sommeiller.

MERCREDI 26 MAI - Réveillé brutalement, je suis emmené dans un autre endroit de la falaise avec défense d’en sortir — même la tête — avec l’interprète. Le nombre des Maures s’est accru pendant la nuit. L’un d’eux, qui me porte un peu d’intérêt, me confie en espagnol que deux de ses compagnons vont se rendre à Cap Juby qui n’est qu’à une vingtaine de kilomètres nord, selon lui. La journée se passe. Dès que je veux quitter ma cachette, une pierre se détache de la falaise et me rappelle à la réalité. Vers le soir, j’en sors enfin et je suis conduit, après que l’on m’ait enlevé ma casquette, devant deux personnages importants que l’interprète me dit être le Khalifat et le père du sultan. Bref, deux « Cheiks »; ceux-ci le font dire et que je suis sous leur protection et m’affirment que je serai libre dès la prime remise. Ils me font manger et boire du thé avec eux puis m’envoient dormir. Au milieu de la nuit, un coup de pied me réveille. Je suis hissé sur le bât d’un chameau. Précédé des Cheiks et de quelques Maures armés, nous nous enfonçons dans le bled d’une vingtaine de kilomètres, puis, après un détour, nous arrivons au jour, dans une tente au bord de la mer.

JEUDI 27 MAI - Un des Cheiks continue avec un Maure armé dans une direction que je ne puis m’empêcher de croire celle de Cap Juby. Vers midi, j’entends un bruit de moteur et avant d’être rejeté brutalement dans l’intérieur de la tente, j’ai le temps d’apercevoir les deux appareils du courrier de Dakar, remontant vers le nord, à faible altitude. Une heure ou deux après, j’entends un autre bruit de moteur et j’ai encore le temps d’entrevoir l’appareil venant du nord se dirigeant vers l’appareil en panne, probablement. Je ne doute plus que ce dernier n’ait été aperçu par les avions de Dakar. L’avion repassant d’ailleurs une dizaine de minutes après me le prouve. Malgré la demande formulée aux Maures de ne pas détruire mon appareil avec promesse de récompense, le Cheik m’apprend que l’appareil a été détruit le lendemain du jour de ma découverte. L’après-midi se passe, le Cheik, parfaitement correct, me faisant respecter. Il m’interroge sur Abd el Krim, sur la guerre du Rif à laquelle il semble porter un grand intérêt et une admiration non dissimulée pour le premier nommé. Il s’ingénie, par l’organe pénible de mon interprète, à lui affirmer sa chute prochaine. Au milieu de la nuit, réveil un peu moins brutal. Un peu plus de déférence de la part des Maures, ce qui me semble de bon augure. Ils me font monter sur un chameau. Nous nous enfonçons dans le bled pendant deux ou trois heures rapidement. Station — un cavalier s’approche, puis, après un dialogue, prend la corde de mon chameau. L’interprète monte en croupe sur le chameau du Cheik et, après être avancés une heure environ dans cet équipage, j’entrevois le fort de Juby dans le jour naissant. Remise au gouverneur espagnol.
Je suis libre contre une rançon de 1000 pesetas.
Cap Juby, le 31 mai 1926.

Signé Jean MERMOZ.


Petit détail politique important : Victoire de la France et défaite d’Abd el Krim le 26 mai 1926 dans la difficile guerre du Rif. Les rebelles Maures, sans doute impressionnés par ces évènements récents, respectant la force et le vainqueur, ont préféré libérer leur otage rapidement. Mermoz doit certainement ce traitement favorable à cette rédition et à la victoire des Français.



 Mermoz sur le pas de la porte

Mermoz en pyjama, otage, 1926

 

JEAN MERMOZ - CORRESPONDANCE - 1921 – 1936

Casa,  15 juin 1926

     Maman chérie,

     J'aurais voulu t'écrire plus tôt, mais j'ai été un peu souffrant depuis ma captivité chez les Maures. Mes selles étaient devenues comme de la pierre. J'étais obligé de me masser pour les extérioriser ce me produisait de petites hémorragies sanguines : résultat de l'eau de radiateur additionnée d'acide qu'il m'a fallu boire pendant près de quarante-huit heures. Je me suis mis à la diète et me suis purgé à ma rentrée. Maintenant, c'est un peu terminé, mais j'ai pas mal souffert, surtout ayant continué mon travail. Et puis la réaction de ces moments-là se fait sentir après. [...]

 

Casa,  28 juin 1926

  Mes chers parents,

     J'ai trouvé votre lettre en rentrant de Juby. Enfin, le temps passe vite et bientôt, j'aurai la joie d'aller vous embrasser tous les deux. Rassurez-vous. Maintenant, je suis d'aplomb et les heures angoissantes que j'ai vécues me semblent merveilleuses en souvenir. Et puis la réalité n'est pas si effrayante que cela : affaire d'habitude et de fatalisme, simplement. Pour ma part, je m'assimile facilement à toutes les situations bonnes ou mauvaises, et puis j'aime tant mon métier, que je me sacrifie très volontiers à l'imprévu qu'il comporte.

    [...]  Pour mon séjour chez les Maures, rassurez-vous. Nous avons à bord cinq  jours de vivres et une bonbonne de dix litres d'eau. Mais que voulez-vous ? J'ai eu la malchance d'avoir le simoun, ou vent de sable, presque continuellement. A peine la boîte à conserve ouverte, un centimètre de sable dedans. La bouchée que je portais à la bouche était aussitôt pleine de sable. Et puis le peu de sardines que je mangeais, et ce vent chaud ensablé me donnaient une soif incessante. Or, ma bonbonne qui aurait dû être pleine en contenait à peine six litres, chose que j'ai signalée sur mon rapport (depuis nous avons deux bonbonnes, c'est-à-dire vingt litres). Alors, pour trois jours, c'était juste, surtout que j'ai fait dans une journée une marche de soixante kilomètres au moins. Le matin, impossible de lever les paupières sous la pesée du sable, toujours, du sable, qui emplissait mes arcades sourcilières. Le deuxième jour de ma panne, plus d'eau. A coups de pierre, j'ai pu démolir le bouchon du radiateur et en tirer quelques litres d'eau, presque imbuvable d'ailleurs, à cause de l'acide que l'on y additionne et qui transformait mes selles en de la pierre presque véritable, ce qui me causait de petites hémorragies sanguines et une véritable torture.

     Aussi, c'est avec une joie non dissimulée que j'ai rencontré enfin les Maures. A toutes fins, je préférais celle de mourir par eux que de me dessécher de soif.

 

Mermoz en vol

Mermoz en vol B14 MAF

 

 

Remerciements bis

 
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